mercoledì 11 maggio 2011

Mark Twain , l'écrivain et ses doubles



FROM LE FIGARO
Par Christophe Mercier
Le maître américain avait consacré les dernières années de sa vie à un roman passionnant, enfin traduit.

Interrogé sur les racines de son œuvre, William Faulkner déclara un jour que tout le roman américain du XXe siècle sortait des Aventures de ­Huckleberry Finn, et que Mark Twain était le père de la littérature américaine.

En France, Huckleberry Finn (1885) est moins connu que Les Aventures de Tom Sawyer (1876), et les deux livres ont longtemps été considérés comme de simples «livres pour enfants». Il est vrai que les deux romans sont difficilement traduisibles, que le jeu sur la langue et, surtout, sur les accents, sont impossibles à rendre en ­français.

Bernard Hoepffner, qui a déjà tenté la gageure de retraduire les deux romans les plus célèbres de Twain, nous donne aujourd'hui celle de N° 44, le mystérieux étranger, l'ultime roman de l'écrivain. Il y a travaillé pendant les douze dernières années de sa vie, et l'a laissé inédit (mais non pas inachevé).

Jeu de miroirs
Aux États-Unis, ce n'est que depuis 1969, et la version intégrale publiée par les Presses universitaires de Californie, qu'on peut lire le texte tel que Twain l'avait voulu, les éditions antérieures (la première date de 1916, six ans après la mort de l'auteur) résultant d'un montage qui mêlait au roman des passages d'autres récits inédits, et infligeait au texte des coupes sévères.

Qu'est-ce que ce livre au titre obscur? Au premier abord, un roman qui semble un récapitulatif des personnages, des décors et des thèmes de Twain: deux héros adolescents, dans l'Europe du Moyen Age, confrontés à la cruauté du monde : on se croirait dans une variante du Prince et le Pauvre, dans lequel l'Angleterre médiévale aurait fait place à un village autrichien, en 1490. La scène se situe dans un château à moitié abandonné, colonisé par une communauté constituée par un imprimeur, sa famille et ses ouvriers, et un magicien. Leur existence est bouleversée par l'arrivée d'un adolescent en haillons, d'une beauté surnaturelle, qui dit s'appeler N° 44. Il devient le souffre-douleur de tous, et a pour seul ami August, le narrateur de seize ans, qui va le voir la nuit, en cachette, et apprend peu à peu une partie de ses secrets et de ses pouvoirs. Quand les ouvriers se mettent en grève, et que N° 44, afin que le travail continue, donne corps à leurs Duplicata, tout se complique.

Le thème du double, omniprésent chez Twain, et magistralement exploité dans Pudden'head Wilson (1894), son chef-d'œuvre méconnu, est au centre de N° 44, mais poussé à la puissance 10. Les Doubles se multiplient, comme en un fantastique jeu de miroirs, et Twain lui-même semble perdre le contrôle de ces machines devenues folles, comme les horloges qui, à la fin du livre, se mettent à remonter le temps.

Lumière d'apocalypse
Le pessimisme de Twain quant à la nature humaine, son humour noir habituel, font place à un nihilisme absolu, qui baigne les dernières pages du livre, après une magnifique scène d'un bal de squelettes, d'une lumière d'apocalypse: « Il n'y a pas de Dieu, pas d'Univers, pas de vie terrestre, pas de paradis, pas d'enfer. Tout cela n'est qu'un rêve, un rêve grotesque et imbécile.»

La noirceur du livre trouve sans doute sa source dans la période tragique que vit Twain: quand il commence N° 44, en 1898, l'ancien reporter du Missouri Courrier, l'ancien pilote de «steamboat» sur le Mississippi, l'ancien prospecteur du Wild West, après un quart de siècle de gloire littéraire et de bonheur familial, fait l'expérience du malheur: maladie et mort de sa femme, mort soudaine de l'aînée de ses filles, grave dépression de la cadette, crises d'épilepsie de la plus jeune. Le monde se dépeuple autour de lui et, dans sa grande maison new-yorkaise de la Cinquième Avenue, il découvre la solitude.

Il ne publie plus rien, se consacre à N° 44 et à son Autobiographie (dont la version intégrale est sortie récemment en Amérique), qu'il achève par un texte écrit au lendemain de la mort de sa plus jeune fille, le matin de Noël 1909. Dès lors, il pose définitivement la plume, et meurt six mois plus tard…

Il laisse deux testaments: son Autobiographie et ce N° 44 , le plus fou et le plus opaque de ses romans, imparfait et passionnant, dont on n'a pas fini d'interroger les mystères.

N° 44, le mystérieux étranger de Mark Twain, traduit de l'anglais (États-Unis) par Bernard Hoepffner, Tristram, 280 p., 20 €.

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